La science, la cité

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Mot-clé : communication scientifique

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Décidément, les mathématiques...

Je me suis déjà  penché dans ce blog sur l'incongruité des mathématiques dans le champ scientifique, une discipline absente des revues pluridisciplinaires comme Nature ou Science et qui se comporte comme une science sociale du point de vue bibliométrique.

Cette question me tarabuste à  nouveau aujourd'hui. En effet, je découvre en parcourant mon flux Friendfeed que Michael Nielsen a mis en favori le blog mathématique de François Orais, "Mathemata". Je m'y précipite, en pensant avoir affaire à  une nouvelle pointure des maths françaises marchant dans les traces du blogueur Alain Connes. Evidemment, j'ai tout faux :

  • François Dorais, malgré son patronyme, est de nationalité américaine
  • il a seulement soutenu sa thèse en 2007 et est actuellement post-doctorant à  l'université du Michigan.

En regardant de plus près son parcours, je réalise qu'il n'a qu'une seule publication à  son actif[1]. Pourtant, il semble suffisamment établi pour que Michael Nielsen ait repéré son blog et qu'il en soit déjà  à  son troisième poste, après être passé par Dartmouth College et l'université Cornell !

Je me suis alors rappelé que j'avais été interloqué par le parcours de David Madore, recruté comme maître de conférences à  Telecom ParisTech seulement deux ans après la soutenance de sa thèse et trois publications.

On est bien loin des profils qui prévalent dans le domaine expérimentales et de la nature. Sans vouloir discuter ces cas particuliers, je me pose la question suivante : puisque le nombre d'articles publiés par les jeunes mathématiciens est très faible, à  quoi juge-t-on de leur qualité ? Ou pour paraphraser Bourdieu, comment acquiert-on du capital dans ce champ ? Est-ce le manuscrit de thèse, le parcours académique, la participation à  des séminaires, le nombre de collaborations, les prépublications qui circulent sur arXiv ou bien le bouche à  oreille qui aide à  trier le bon mathématicien de l'ivraie ?

Notes

[1] F. Dorais & R. Filipà³w, "Algebraic sums of sets in Marczewski-Burstin algebras", Real Analysis Exchange 31, no. 1 (2005), 133-142

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Dissémination des idées en science (suite)

En janvier 2007, je discutais un modèle de diffusion des idées en science proposé par l'Office of Scientific and Technical Information américain et inspiré des modèles mis au point pour décrire la diffusion des maladies. Il montrait sur une série de cas (prion, théories des cordes ) comment la probabilité et l'efficacité de contact entre chercheurs permet de diminuer le temps nécessaire au développement des connaissances (ou en tous cas, le temps nécessaire à  la contamination des chercheurs par une nouvelle idée), sur un schéma très proche de la mémétique.

Ce travail n'était que préliminaire et les auteurs ont depuis perfectionné leur approche, au point de la publier dans la revue Scientometrics. Rien de très différent dans cette publication, si ce n'est un point sur lequel ils ont à  mon avis progressé. Je leur faisais en effet le grief d'être trop focalisé sur le modèle épidémiologique (susceptibilité -> exposition -> infection -> résistance) et d'en oublier les facteurs environnementaux. En effet, on peut considérer que les recherches sur le prion auraient pu plafonner vers les années 1990 grâce à  un meilleur paramètre "exposition à  la théorie des chercheurs susceptibles", au lieu de démarrer à  peine, mais ce serait oublier que l'essentiel de cette recherche s'est développé quand le besoin politique s'en faisait sentir avec la crise de la vache folle !

Dans la nouvelle version de leur travail, Bettencourt et ses collègues prennent en compte cet aspect de deux façons, en considérant que :

  • des facteurs externes peuvent alimenter le réservoir des scientifiques susceptibles d'être exposés à  la nouvelle théorie (plus fort recrutement lié à  une réussite ou un intérêt soudain)
  • la productivité des chercheurs, c'est-à -dire le nombre de publications supplémentaires par recrue, change en fonction du contexte (plus le volume de financement est élevé plus il sera facile de mettre les nouveaux entrants au diapason et de les faire publier).

Ils montrent ainsi comment la productivité des chercheurs croît avec la masse dans les domaines théoriques et technologiques (nanotubes de carbone, informatique quantique, théorie des cordes) alors qu'elle décroît dans les domaines des sciences biomédicales ! Ceci s'explique à  peu près par le fait que dans ces derniers domaines, le coût associé à  chaque recrutement (équipement, infrastructure, formation) est très grand par rapport aux sciences théoriques. Mais alors la pôle position des nanotechnologies est une "anomalie", qui s'explique par l'énorme attention médiatique et politique qu'elles reçoivent. Une confirmation plutôt inattendue, s'il en fallait

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De longues rétractations

Décidément, rien ne va plus au royaume des hormones végétales. En avril 2007, un travail mettant le doigt sur le signal à  l'origine de la floraison (appelé florigène) faisait l'objet d'une rétractation ; le mois dernier, c'est un travail identifiant le récepteur de l'acide abscissique et publié dans la revue Nature qui a été effacé des tablettes de la science. Comme le raconte l'éditorial de la revue, ce travail avait été cité 120 fois malgré un accueil plutôt froid (c'est en tous cas ce qu'on raconte aujourd'hui), les résultats annoncés allant à  l'encontre de ce qu'on savait déjà ... Comme souvent, le postdoc qui a fait les expériences douteuses a quitté le laboratoire et est introuvable !

L'article original était paru en janvier 2006. La rétractation, elle, a été demandée en juin par les chercheurs du laboratoire et publiée en décembre par la revue Nature. Soit 33 mois plus tard, ce qui est relativement long, même si les chercheurs concernés par la nouvelle étaient probablement déjà  au courant grâce aux bruits de couloir ou annonces sur listes de diffusion comme cela se fait parfois. Il n'empêche. Selon une enquête de John P. Ioannidis (le poil à  gratter de la recherche biomédicale qui avait affirmé en 2005 que la plupart des résultats scientifiques sont faux), la rétractation d'un article paru dans une revue en vue (facteur d'impact supérieur à  10 et recevant plus de 30.000 citations par an) prend autour de 34 mois (médiane).

Mais ce n'est pas tout : Ioannidis et ses collaborateurs se sont rendu compte que la rétraction prend 79 mois quand un chercheur senior est impliqué dans la recherche frauduleuse contre 22 mois quand il s'agit de chercheurs juniors. Une différence significative qui reste encore encore à  expliquer. Et enfin, pour une revue donnée, les articles rétractés ne diffèrent en rien des autres articles vis-à -vis du nombre de citations reçues dans la première année, le nombre d'auteurs, le pays, l'origine du financement ou la discipline, mais sont deux fois plus susceptibles d'avoir des auteurs de différents pays ! Ce qui n'était pas le cas ici, cette exception confirmant la règle.

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Nouvelles du front (12)

Le 7 juin, au Salon européen de la recherche et de l'innovation, le freezing est devenue une arme politique du mouvement Sauvons la recherche. Sauf qu'ils ont encore du progrès à  faire, on voit un gars bouger à  la 37e seconde et une nana à  la 54e et à  mon avis, la vidéo serait bien plus percutante si elle s'ouvrait sur la mise en place du freezing

Le 3 juin, un candidat américain promettait vaguement de renewing our commitment to science and innovation. Mais ces quelques mots prononcés par Obama ne sont pas passés inaperçus tant les américains en veulent aux républicains d'avoir fait du mal à  leur science.

En juin, le magazine ''research*eu'' de la Commission européen (DG Recherche) nous gratifait d'un beau lieu commun : dans une époque surchargée de communiqués de presse, blogs et autres wikis, personne n'est à  l'abri de l'inexactitude, encore moins lorsqu'il s'agit de science (p. 14).

Le 19 juin, la revue Nature frôlait le numéro spécial sur la fraude scientifique avec un éditorial, l'annonce de la suspension d'un chercheur mal intentionné à  l'Université de Pennsylvanie et une enquête montrant que seulement 58 % des 201 comportements frauduleux observés par les 2,212 chercheurs interrogés ont été signalés à  la hiérarchie ces trois dernières années. Et les 24 cas soumis chaque année en moyenne par les institutions de recherche à  l'Office of Research Integrity américain ne sont que le sommet de l'iceberg... Ce qu'il manque, affirment les auteurs de l'étude ? Une culture de l'intégrité dans les labos.

Le 23 juin, un article du rédacteur en chef de Wired, le père de la "longue traîne" Chris Anderson, annonçait la fin de la théorie et le début de la science empirique basée sur les quantités colossales de données dont on dispose désormais. Un peu comme Google qui ne fait aucune hypothèse et modèle mais rend compte de nos habitudes et notre langage en moulinant des pétaoctets de données dans des serveurs équipés d'algorithmes surpuissants. Mais à  la question qu'est-ce que la science peut apprendre de Google ?, Alexandre Delaigue apporte une réponse très réservée tandis que Gloria Origgi de l'Institut Nicod s'enthousiasme beaucoup plus.

Les deux élèves-ingénieurs français tués à  Londres le 29 juin étaient des… spécialistes de l'ADN selon l'article du Monde. Or une enquête rapide montre que Laurent Bonomo étudiait un parasite qui se transmet des chats aux foetus c'est-à -dire Toxoplasma gondii, probablement dans ce labo. Gabriel Ferrez, lui, étudiait des bactéries capables de créer de l'éthanol utilisable comme biocarburant, probablement dans cet autre labo. On est loin de simples spécialistes de l'ADN, une dénomination qui équivaut sans doute pour Le Monde à  un synonyme de "biologiste"...

En juillet, nous apprenions l'étonnant destin de l'article en français le plus cité de la base bibliographique Scopus (plus de 500 citations), lequel posait les bases de la vertebroplastie en 1987.

Le 11 juillet paraissait dans Science un article (en accès libre ici) de sociologues des médias étudiant l'attitude des chercheurs face aux journalistes scientifiques. Le résultat selon lequel 46 % des chercheurs interrogés ont une expérience plutôt positive d'un tel contact, venant à  l'encontre d'autres études, a été longuement commenté.

Dans son numéro suivant, Science frappait à  nouveau un grand coup avec un article de James Evans montrant que la mise en ligne des publications scientifiques entraîne un appauvrissement des citations bibliographiques (les articles cités sont de plus en plus jeunes et de moins en moins variés). Selon l'auteur, ce serait parce qu'en naviguant en ligne on a plus tendance à  être guidé vers les articles clés d'un domaine (en mode suivi des liens hypertextes "Voir aussi...") et à  faire un choix plus strict des références à  citer (puisqu'elles sont accessibles et vérifiables en ligne). Fini notamment l'heureux hasard ("sérendipité") qui permettait, en potassant les sommaires d'une revue, de faire des rapprochements inattendus et d'explorer des voies de traverse. Le consensus se construit désormais à  vitesse grand V. Le magazine The Economist y voit la fin de la longue traîne dans les citations (via l'Agence Science-Presse). Stevan Harnad, en tous cas, fait le tri entre les diverses explications de ce phénomène, tout comme un commentaire de la revue Science...

Le 20 juillet à  l'Euroscience Open Forum de Barcelone, des experts ont appelé à  la prise en compte des risques toxicologiques des nanotechnologies. Il semble en effet que des résultats scientifiques récents mettent en évidence l'existence de risques brandits depuis longtemps...

Le 29 juillet, un éditorial de la revue Genome Biology se moquait gentiment du facteur d'impact en imaginant que le même système est appliqué pour décider si l'on est envoyé au paradis ou en enfer (via Pawel). Extrait :

Genome Biology : Ecoutez, une fois que le facteur d'impact a dominé l'évaluation de la science, les chercheurs créatifs ont été maudits. Les bureaucrates n'ont plus eu à  connaître quoi que ce soit ou avoir un semblant de sagesse ; tout ce qu'ils avaient à  faire était de se fier à  quelques nombres arbitraires. Et maintenant vous me dites que vous faites cela pour déterminer qui va au paradis ?

Saint Pierre : Oui, c'est beaucoup plus simple. Peu importe si vous avez été gentil ou avez fait de votre mieux ou avez bien travaillé ou avez été pieux ou modeste ou généreux. La seule chose qui compte c'est de calculer si vous avez eu un gros impact.

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Les chercheurs sont des humains comme les autres

Je viens de finir ce qui est sans doute le premier mémoire universitaire sur les blogs de science, que l'on doit à Priscille Ducet (en M2 SIC "Communication rédactionnelle et multimédia" à l'université Paris-X Nanterre). Outre des remarques intéressantes sur les blogs (j'y reviendrai sans doute), il y a une phrase qui m'a fait bondir. Mais revenons au début

Ce mémoire s'ouvre sur des considérations très générales sur la vulgarisation en science, sa place, son rôle. Un peu bateau mais très utile pour resituer les blogs de science et la rupture assez forte qu'ils introduisent. La vulgarisation, donc, a toujours plus ou moins été le cadet des soucis des scientifiques. C'est l'occupation des érudits dans d'autres domaines, curieux de la science à défaut d'être scientifiques eux-mêmes et défenseurs de la notion de culture pour tous, ou bien d'anciens scientifiques ou de formation scientifique reconvertis dans les sciences de l'information et de la communication. Ce "troisième homme", faisant oeuvre de traduction, semblait indissociable de la vulgarisation jusque dans les années 1980. Mais il n'existe pas une unique traduction valable pour tous les publics d'où plutôt l'idée d'un continuum entre les textes les plus techniques et ceux plus accessibles. Dès lors, le troisième homme disparut mais les journalistes scientifiques et les chercheurs se disputaient le titre de vulgarisateur le plus légitime, chacun à un bout de la chaîne. Les scientifiques possèdent l'inconvénient de ne toujours pas bénéficier de formations en communication voire en histoire des sciences et épistémologie, malgré de bonnes intentions affichées depuis presque 20 ans, et semblent donc laisser le beau rôle aux journalistes. Mais rendons la parole à  Priscille Ducet :

Ajoutons à cela l'hostilité d'une certaine part de la communauté scientifique à vulgariser, comme on l'a vu précédemment, qui alimente le mythe du scientifique dans sa tour d'ivoire, isolé et gardant bien ses secrets, même à l'égard de ses collègues. Lorsque Bertrand Labasse écrit, toujours en 2001, que la majorité des chargés de communication des organismes et établissements déplorent d'être trop rarement informés de travaux intéressants, et que, sept ans plus tard, je constate moi-même, à l'occasion d'un stage à la Communication à l'Ifremer, que la Direction de la Communication se trouve confrontée au même problème, on ne peut que regretter que les choses n'évoluent pas davantage.

Les chercheurs ne partagent pas assez ? C'est vrai, mais comme tout le monde ! Un petit tour dans n'importe quelle entreprise montre bien que ce n'est pas une sinécure d'avoir des employés qui partagent correctement l'information et la font remonter aux chargés de communication. Ou sinon, pourquoi certaines mettraient-elles en place des compétitions pour récompenser les meilleures initiatives de l'année tout en prenant des notes pour leur futur matériel de communication ! De ce point de vue, les chercheurs ne sont ni plus ni moins que des êtres humains

Alors, certes, on voudrait qu'ils aient une "mission de service public", qu'ils soient au-dessus de la mêlée et qu'ils fassent concrètement vivre leur vocation de passeurs. Sacrées attentes. Mais ils ne sont pas tous des Hubert Reeves et c'est vrai, il faut se bouger pour récupérer des informations intéressantes quand l'activité primaire de ces chercheurs est de chercher ! Et si la baguette ne marche pas et la carotte non plus (on attend toujours que les activités de vulgarisation soient reconnues dans l'évaluation des chercheurs comme le soulignait Jean-Marc Galand sur France inter ), il faut mettre au point des stratégies intelligentes. J'ai rencontré il y a quelques mois un ancien chargé de communication chez Cogema, à La Hague. Afin de remplir sa feuille de choux interne et de raconter de belles histoires aux journalistes (il en fallait pour compenser les mauvaises), il avait missionné dans chaque atelier un relais. Un scientifique comme les autres, avec juste un sens de la communication un peu plus fourni et un sens aiguë des bonnes histoires. A charge à  lui de faire remonter les bonnes nouvelles et les accomplissements de son équipe.

Mais là  où cette conversation nous emmène, c'est sur l'intérêt des blogs. Puisque le chemin en interne est trop long entre le chercheur et le communicant, pourquoi ne pas mettre directement en contact le chercheur avec l'extérieur ? Nul doute qu'il y a peu de chances qu'il devienne un nouvel Hubert Reeves mais il peut se découvrir un goût certain pour la communication, en particulier s'il bénéficie d'un retour direct de ses lecteurs. Aussi, il peut être plus excité à l'idée de partager ses recherches en cours que d'aseptiser ses résultats pour le commun des mortels. Car comme dirait Bruno Latour[1] :

n'est-il pas paradoxal de vouloir toujours intéresser le public aux faits, alors que pas un seul scientifique ne s'y intéresse ? Le scientifique s'intéresse précisément à ce qui n'est pas encore un fait. La source de son intérêt, de sa passion, c'est le tri entre ce qui sera jugé scientifiquement valable et ce qui ne le sera pas. Le ressort de l'intérêt à l'intérieur de la communauté scientifique n'est donc pas celui qu'on utilise à l'extérieur de cette communauté pour diffuser la science. Il y a là  matière à réflexion !

Alors non, je ne suis pas d'accord avec la conclusion de ce mémoire selon lequel tant que les activités de vulgarisation scientifique ne seront pas prises en compte dans l'évaluation du chercheur, même l'outil le plus simple et le plus efficace du monde ne pourra véritablement bouleverser les relations actuelles entre le Science et le Grand Public. Quelques principes de base de knowledge management (mettre en place des outils simples qui s'effacent à l'usage, faire en sorte que les personnes voient immédiatement l'effet de leur action, déléguer les responsabilités et mettre le créateur d'information au centre du système) peuvent concrètement améliorer la communication de la science pour notre bien à  tout.

Notes

[1] Bruno Latour, Le Métier de chercheur, regard d'un anthropologue, INRA éditions, coll. "Sciences en questions", 2001

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